Quelques
remarques sur le 362
Sybille de Pury Toumi (CELIA-CNRS)
Remerciements : au CELIA et plus particulièrement à Jean-Michel Hoppan qui a scanné le microfilm de la Bnf.
Dans
le Fonds Mexicain de la Bibliothèque nationale de France, on trouve dans la
collection Aubin-Goupil, sous la référence 362 du catalogue, un dictionnaire
espagnol-nahuatl anonyme, manuscrit. Par ailleurs, on en trouve une copie, référenciée
362 ter, écrite de la même main et identique au premier si ce n'est par la
pagination, par quelques détails de présentation et par des modifications
d'orthographe. Il me semble qu'on n'a pas là la copie d'un manuscrit plus
ancien mais que la version que nous avons là a bien été écrite par l'auteur
du dictionnaire, à des fins pédagogiques (enseigner localement le nahuatl à
de futurs curés), ce qui expliquerait la double version et les corrections opérées
sur la seconde. Une analyse de l'écriture permettra de dater plus précisément
ce travail dont je pense qu'il a été réalisé au 17ème, ou peut
être au 18ème, siècle.
L'auteur
du 362 ?
Le
texte ne nous donne que quelques rares renseignements sur l'auteur.
-
C'est un évangélisateur, dépréciant parfois les traditions culturelles
locales,
Hablar
cuentos ridiculos Zazanilhuya,
de donde sale Zazanilli, que es cuento.
et
attentif à débusquer l'idôlatrie : alors que, dans le dictionnaire de
Molina, aucune allusion à la sorcellerie n'est faite aux entrées Chupar
algo. nitla, chichina,
et Chupador. tlachichinani,
le manuscrit 362 précise :
Chupar
el Echicero álos enfermos abuso acostumbrado en toda la tierra, Techichina
tetlacuycuijlia, elque lo hace techichinani
tetlacuycuijliani, estos mismos suelen
decir, y hacer creer alos Indios que veen la rayz del mal en unas Xicaras, y
aestos llaman Teytani.
-
Le texte montre que ce dictionnaire se veut un outil d'apprentissage
linguistique :
Pescado
generalmente, Michin los muchos
nombres que en ellos se conocen se aprenderan con la practica.
qui,
non seulement devrait permettre à ses utilisateurs de pratiquer la langue au
quotidien :
Caño de el Agua, Ayotli
este [termino] se equivoca con la calabaza Aotli Aquauhyotl.
Dar
exemplo, tlaixcuytia, el exemplo que
se da Nexcuytilli, y tener mucho
cuidado en la pronunciacion por
que si se pronuncia Yxhuitia es
empacharse.
mais
aussi devrait leur fournir les expressions nécessaires à la prédication :
Constituir
á otro en dignidad u oficio, tlaixquetza,
Yxquetza, y para decir que Dios
constituyo á sus Dissipulos para enseñar á los hombre diremos Yehuatzin
Dios Oquimixquechili en itlamachtiltzitzihuan inicquimmoyolizmachtilique in
tlaltipatlaca.
- L'auteur a lu ceux qu'il appelle les Autores
Antiguos ¾ mis à part Molina, il cite le Padre
Fray Juan Baptista et le Padre Fray Martin de Leon. Il se targue, d'ailleurs, de
corriger certaines de leurs erreurs, celles qui viennent de la traduction en
nahuatl des concepts du dogme catholique :
Pecado
Venial, dixeron todos que es tepiton
tlatlacolli, pero es mas proprio tlapopolhuiloni
tlatlacolli áunque siempre se ha de
explicar por que se llama venial, ô facil de perdonar.
ou
celles qui viennent de l'interprétation en espagnol de mots nahuatl courants :
Pelo,
tomitl tomiyo, assi tambien llaman la lana hilada, y por eso las Mantas que
se hacen de ella se dicen tomiquaxtli,
y a este hilado teñido llaman tochomitl,
aunque impropriam[en]te llama el padre Molina, a este tochomitl pelo de Conexo.
- A quel ordre, à quel couvent appartenait-il ? Il n'en dit rien.
Tout au plus peut-on localiser sa zone d'intervention dans une région qui
jouxte "la Sierra", sans qu'on puisse dire de quelle Sierra il s'agit
(seule une étude des variantes linguistiques fournies par le dictionnaire
pourra répondre en partie à cette question). Il y a, en effet, d'assez
nombreuses annotations sur la façon de parler des Serranos :
Camara
de Sangre, Eiztlinoquia Eiztlicapitza,
en la Sierra dicen Eiztliquichihua.
De
dia quando lla amanese, ô quando comienza á obscurecer, Yetlaca. este mismo tlaca
le sirve para explicar que se acuerdan de lo que se avia olbidado: Tlaca,
los Serranos tlacaquil.
Il
se réfère aussi à ce qu'il appelle Tierra
caliente, terres qui doivent être
plus éloignées de son lieu de résidence car les références y sont plus
rares (ici encore l'analyse linguistique donnera plus de précisions) :
Nada
, Atley en la Sierra, y Tierra
caliente Axitla, Machitla.
- L'ouvrage n'est pas daté, mais l'usage de l'expression Autores Antiguos montre
qu'il est postérieur aux travaux des Franciscains. Certains termes du
dictionnaire de Molina réfèrent à une réalité dont l'auteur laisse entendre
qu'elle n'existe plus au moment où il écrit :
Flauta
de las que se usaban en sus fiestas: Huylacapitztli
Tlapitzalli, Zozoloctli. El nombre Tlapitzalli
usan tambien para decir Chirimia, y tocarla Tlapitza.
Lanza
de las que ellos usaban antiguamente, Tlaxalli.
Penacho
de plumas que ellos estimaron mucho, Quetzalli.
Sandalias
de que usavan los nobles, Ytzcactli
tlacueyonilllicactli.
Navaja
para rapar que ellos lleban de bidrio, Yztli,
las que ahora usan los barberos Neximaloni.
L'étude
du texte donnera d'autres renseignements à ce sujet. On voit cependant déjà
qu'on se trouve à une époque de la colonisation où les villages se dépeuplent :
Derramar
ô desparramar lo que no es liquido como semillas &ra.
Cecemmana Chachayahua,
Tetepehua Pipixoa este Cecemmana
tambien lo toman por despoblar los Pueblos ô ahuyentar los Vecinos.
et
que les esclaves noirs sont présents :
Negro
tiltic yoyahuic,
yoyactic; á los Negros hombres llaman Catzactic.
Mercar
Cohua cohuia
patiyotia. cosa comprada tlacouhti
assi llaman tambien á los Esclavos.
L'analyse
de la langue apportera aussi quelques éléments de réponse pour dater
l'ouvrage. On voit, par exemple, qu'elle a évolué et intégré de nombreux
emprunts à l'espagnol, ce que déplore l'auteur à plusieurs occasions :
Lazar
Tzohuia Xicomonilpia, lazo
Tzohuaztli Xitomontli, esto es la lazada por el Cordel con que lazan lo
entienden Castillanisado.
Paja
trillada
tlatzontextli Zacatextli,
aunque regularmente ya todos dicen corrompido Paxax.
Seda
Ocuylzahualli, Ocuylicpatl
aunque este me parece nombre arbitrario porque no tiene nombre proprio en el
Mexicano, y hasta oy dicen los Yndios que no saben castellano Xella en lugar de Seda.
La facture du dictionnaire
Ce
dont on peut, au moins, être sûr, c'est que l'auteur de ce dictionnaire l'a écrit
à partir de la version espagnole-nahuatl du dictionnaire de Molina. Non
seulement, il s'y réfère ouvertement :
honesta cosa (dice el Padre Molina), Mitmatqui
nomalhuiani, pero esto es propriamente perzona cuerda cauta, ô
prudente.
mais
il le suit à la lettre. Comme son orthographe diffère très notablement de
celle de Molina,
362 |
Molina |
|
Abeja,
esta genericamente Mosca, y assi dicen Zayollin,
aunque para espesificarla dicen Quauhneuhzayollin
à la que hace la miel en las colmenas, a la que fabrica panales Mimiahuatl,
a las que hacen miel cilbestre Pipiyollin
; à unas mui bravas que hacen miel subterranea Xicotl,
à otras Tlaletzatl. |
Mosca
volatile conocida. çayulin. Abeja
de miel que cria dentro del arbol. quahnecuçayoli. Abeja montesa de miel. pipiyoli. |
les
changement orthographiques opérés rompent l'ordre alphabétique établi par
Molina, mais sans qu'il s'en soucie, comme on le voit à la suite :
362 |
Molina |
|
||
Cabaña |
Xacalli. |
Cabaña. |
tlapixcacalli. |
|
Caveza |
Tzontecon,
y a elque es Caveza de un Pueblo, ô familia grande dicen
Quauhtzontecomatl, y a la Caveza ô Calavera llaman Tzontecomatl
Quaxicalli |
Cabeça. |
totzontecon. |
|
Cavezera |
Tzontlan |
Cabecera
de cama. f. el lugar |
totzontlan. |
|
Caveza
de Sierra |
Tepetlicpac. |
|
|
|
Cavellos |
Tzontli,
Cabellexo tzoncal. |
Cabellos
de la cabeça. |
quatzuntli. |
|
Caver |
Naqui. |
Caber
en lugar. |
n,aqui.
non,aqui. |
|
Cabra |
Tentzon,
elque las guarda Tentzonpixqui. |
Cabra
o cabron. Cabrero. |
quaquauhtentzone. quaquauhtetzonpixqui. |
|
S'il
suit le dictionnaire de Molina mot à mot, il y fait cependant des coupes
sombres : ainsi entre Cabeça et Cabecera de cama on trouve chez Molina onze entrées supplémentaires,
et, en outre, quatre expressions supplémentaires à l'entrée Cabecera,
et treize, à l'entrée Cabello. Ces réductions
drastiques opérées par rapport à son modèle montrent que l'auteur de ce
nouveau dictionnaire l'a écrit avec la volonté d'en réduire la taille afin,
pensons-nous, de faciliter la mémorisation de la langue. Nous sommes bien
devant un travail qui a une fin pédagogique.
L'entreprise est aussi de modernisation. L'époque est autre. On
remarque, en effet, des différences notables entre les deux dictionnaires au
niveau du vocabulaire espagnol. Ainsi :
-
certains mots ne sont plus usuels, si ce n'est, peut-être, parmi les lettrés :
362 |
Molina |
|
Pluvia
ô lluvia Quiahuitl |
Pluvia.
quiauitl. |
- le vocabulaire espagnol du Mexique a intégré nombre de nouvelles
expressions :
Alcabala ô lo que se paga de derecho en las plazas, Tianquiztequitl
pochtecatequitl.
Alcahuetear, tetlamatia
esto es propriamente saver algo malo de otro.
Camara ô Tecamara de dormir, Cochia, Cochitla (Molina :
Camara o celda para dormir.)
Encorvarse, ô loque regularmente llaman agacharse :
Colihuya No
Puñadas dar ô Moxicones Tepinia.
Rebujar ô emmarañar algo: Pazolalia.
Silo ô troxe para guardar semillas Cuetzcomatl.
- et de nombreuses entrées nous fournissent des synonymes, soit que
certains mots, d'usage courant à l'époque de Molina, ne soient plus courants
lorsque l'auteur de ce manuscrit écrit, soit les régionalisme soient plus
communs que le castellano de Molina, ou enfin qu'il cherche à préciser le sens
de mots espagnols qu'un lecteur (de langue maternelle nahuatl ?) pourrait
ne pas connaître :
362 |
Molina |
Argamaza,
ô mezcla de cal y arena, Tenexzoquitl
Tenexpollolli. |
Argamassa.
teneçoquitl, tenexpololli. |
Atollar ô meterse en el lodo, Zoquiacqui |
Atollar. ni,çoquiaqui |
Azcua ô braza Tlexoxtli. |
Brasa o asqua. tlexoxtli. |
Bofes ô asadura, Chichitl |
Bofes o escopetina. chichitl. |
Pardal ô Gorrion que es lo mismo Molotl |
Pardal o gorrion. molotl. |
Camellon de tierra, ô surco, Cuemitl |
Camellon de tierra. cuemitl. |
Au niveau du nahuatl, on remarque aussi des innovations lexicales par
rapport à Molina. En ce qui concerne la morphologie, quelques différences sont
notables, dans la terminaison des noms à la forme absolutive et dans celle des
verbes transitifs ¾ ainsi
là où Molina donne une forme verbale en -i, l'auteur du 362 donne une forme en
-ia : par exemple à Glotonear on
trouve Xixicuinti chez Molina et à Gloton
(ser lo) on trouve Xixicuintia
dans le 362 ; nitla,puztequi
et poztequia ; tlaltequi
et tlaltequia...
L'auteur du 362 se veut aussi un correcteur de Molina :
362 |
Molina |
Hender
ô rajar de arriba ábajo, Ixtlapana
con este Verbo dan a entender el divorcio en el Matrimonio, y assi dicen Ixtlapana intioyotl. |
Hender
un madero aferrandole, o partiendole por medio con cuñas, &c. nitla,ixtlapana. |
Grano de semilla, no tiene proprio nombre, y
assi dicen si es de Mayz, frijol &c se dicen con el mismo nombre. |
Grano de semilla. centetl yxinachcho, centetl
yachcho. |
Le
362 fournit des variantes régionales, ce que ne fait pas Molina :
- variantes d'une même forme
Camara de Sangre, Eiztlinoquia Eiztlicapitza,
en la Sierra dicen Eiztliquichihua.
- variantes d'usage
Caracol, Teczismana,
huylacatochti, Otra especie. Cili
otro Atecocolli Teczistli, con
este nombre llaman en la Sierra alhuevo comun.
- régionalismes nommant des réalités spécifiques
Hormiga, Azcatl,
tlatlauhquiatzcatl, tlitliatzcatl
tzicatl quando crian alas Tzicatana, otras que hay en la Sierra tepehua.
Faysan, Coxolitli
aunque esta es otra Ave que ay en la Sierra, y al faysan llaman en ella Quauhtlatototl.
Par
ailleurs, le 362 donne aussi d'assez nombreuses indications sur les variantes
contextuelles :
Criada que sirve á jornal, Tlaquehualli tlayecoltiani
el paje que sirve para compania Tlannencauh
en la Sierra dicen Tlamacax, y mas á sus criadas por cariño les dicen Cocetzin
tepitzin, y á los hombres Xolotzin.
Gotearse la Casa, Tlaxica, pipica, lo mesmo
dicen quando se sale el Agua por el Cantaro, ô Vaso rajado.
Hender ô rajar de arriba ábajo, Yxtlapana, con este Verbo dan a entender el divorcio en el
Matrimonio, y assi dicen Yxtlapana intioyotl.
Juego depalabras Camanalatolli,
ahuillatolli, huetzquetztlatolli; el segundo lo suelen entender por palabras
deshonestas.
Laurel Ecapatli, quauhxihuitl,
y assi llaman regularmente al Domingo de Ramos.
On
notera, enfin, que quelques énoncés sont inclus au lexique, mais c'est assez
rare :
Padecer tlayhyohuia
tonehua yoltonehua: Son Phrases elegantes de Mexicanos para explicar lo que
padecen estas: Cococteopouhqui nicmati,
cococteopouhqui notechmoteca nichichimaca, anihuelimati que es lo mismo que
decir lo picante ô doloroso he provado, ô lo fuerte, y sencible no se aparta
demi, que me ábrazo, ô quemo, que no ves dia vueno; otros mas elegantes dicen colotl
chichicaztli notechquiza, tetl, quiahuitl mecatl nopanquiza: Que es lo mismo
que decir los Alacranes las Ortigas pasan por sobre demi ô que las piedras, los
Garrotes y los dogales selevantan contrami.
Saisie
C'est
le texte du premier document (362, et non 362 ter) qui a été saisi, et de la
façon la plus fidèle possible au manuscrit original. L'orthographe a été
respectée, sauf la lettre x qui a été dans la majeure partie des cas
changée pour r en espagnol. Les coupures de mots opérées par l'auteur
ont été reproduites telles quelles. Les variantes orthographiques sur un même
mot n'ont pas été rétablies sous une forme homogène (par exemple, mais,
maiz, mayz). On excusera
les inévitables fautes de frappe qui ont pu se glisser dans la saisie.
L'intérêt de ce dictionnaire pour ceux qui travaillent sur les textes coloniaux nous a poussé à proposer en second lieu une version nahuatl-espagnole générée à partir de l'ouvrage et, en troisième lieu, une version espagnole longue où les synonymes apparaissent en entrée.
Remerciements : au CELIA et plus particulièrement à Jean-Michel Hoppan qui a scanné le microfilm de la Bnf.